Aujourd’hui, les Chrétiens du monde entier fêtent la résurrection de Jésus. Et bien, Jésus et moi, on a un point commun ; on est morts et ressuscités. Je vous jure, c’est vrai.
Tout a commencé il y a plus d’un mois, et il m’a fallu tout ce temps de convalescence pour trouver la force de vous relater mes aventures ô combien palpitantes. Au moment de l’anniversaire de Patronne, vous vous en souvenez, j’avais déjà fait une virée à l’hôpital, mais, rapidement soignée pour ce qui semblait être une allergie, j’avais vite guéri et on avait joyeusement tourné la page. Sauf que le mal rôdait toujours et que, telle une demi-mondaine du XIXème siècle atteinte de phtisie, je me suis bientôt retrouvée avec les mêmes poumons que la dame aux camélias.
Un matin donc, me voyant au bord de l’asphyxie et en très mauvais état, Patronne et l’Autre m’ont tirée de sous le lit de Patronne pour m’emmener chez le vétérinaire. Mais comme l’Autre, ce matin-là, devait partir en voyage scolaire en Transylvanie, Elle a dû, la mort dans l’âme, nous abandonner pour partir découvrir ce bout de pays perdu qui fait pleurer les Hongrois, qui a vu naître leur roi Mátyás et mourir leur poète Petőfi.
Du coup, Patronne a dû se débrouiller toute seule pour me mettre dans mon panier. Direction l’hôpital. Là, toute une équipe de médecins est venue s’occuper de moi. Ils ont refusé que Patronne me suive. Ils m’ont emmenée sur un brancard et la dernière image que j’ai eue avant qu’ils ne m’endorment est celle d’une pauvre Patronne éplorée agitant son mouchoir blanc. Je vous jure, je n’invente rien. Puis ils m’ont observée, ont pris un air dubitatif, ont mis des tuyaux dans mes petits poumons, ont fait des trous dans mon pelage pour me faire des piqûres et des prélèvements et sont retournés voir Patronne qui faisaient les cent pas dans la salle d’attente, en se tordant les mains telle un héroïne de Flaubert et en se disant qu’en plus de perdre son chat, Elle allait arriver en retard au travail (et avec la sensation désagréable de sentir le pipi de chat, parce que, oui, j’ai omis ce détail, mais au moment de me mettre dans ma cage, Patronne m’a soulevée de terre et là, j’ai fait pipi sur Elle parce que je m’étais retenue toute la nuit). Là, ils lui ont demandé de s’asseoir et, en la regardant droit dans les yeux, lui ont dit qu’il fallait qu’Elle se prépare au pire, qu’ils allaient me garder en observation toute la journée, mais qu’ils n’étaient pas sûrs de pouvoir me sauver. Patronne est donc partie travailler, pleine d’angoisse, en envoyant une foule de sms à l’Autre. Elles ont passé la journée à organiser mon enterrement par texto, à rédiger mon oraison funèbre, et à mettre des annonces sur Le bon coin dans l’espoir de vendre ma cage et ma litière.
Et puis, en fin de journée, Patronne est revenue me chercher. Et Elle m’a retrouvée. Vivante. Faible encore, mais bien vivante. Alléluia, les médecins m’avaient tirée d’affaire. Nous sommes rentrées à la maison, moi avec des trous dans mon pelage blanc, Elle avec un trou dans son porte-monnaie parce que les médecins s’étaient bien lâchés sur le nombre et le prix de mes examens (tout ça pour ne rien trouver, en plus). Mais bon, le plus important était que je sois tirée d’affaire. A l’autre bout de la Hongrie, l’Autre, qui se trouvait à ce moment-là devant la statue de Petőfi mort au champ d’honneur, a versé sa petite larme (les Hongrois ont d’ailleurs cru que c’était à cause de la Transylvanie perdue et se sont réjouis de la voir si patriote).
Depuis, je retrouve mes forces et tout est rentré dans l’ordre. Mais franchement, j’ai bien failli déposer le bilan. J’ai frôlé la mort, comme Jésus. Comme Jésus, j’ai eu mon chemin de croix et ma couronne d’épines. Comme Jésus, mes disciples ont bien cru me perdre et ont fêté mon retour dans la joie et l’allégresse. Comme Jésus, j’ai maintenant un trou au côté (parce que mes poils ne repoussent pas). Comme Jésus, je suis ressuscitée d’entre les morts. Amen.